Arabie Saoudite : l'ère de l'après-pétrole a-t-elle commencé ?

Le 23 mars 2016, le prix du baril de pétrole était côté à moins de 40$ à la bourse des matières premières de New York. En l'espace de 18 mois, le cours de l’or noir est passé de 106 à 37$. Un effondrement spectaculaire qui a entraîné très vite par chute dangereuse du marché.

Le reflux de l’économie mondiale dû au ralentissement de la croissance chinoise ne saurait expliquer à lui seul la baisse brutale du baril du pétrole. Derrière cette dégringolade des cours, il y a une guerre et un entêtement. Une guerre énergétique et géopolitique et l’entêtement d’un pays. L’Arabie Saoudite : un acteur majeur du marché étant le premier producteur mondial et le détenteur des deuxièmes plus grosses réserves planétaires de brut.

Une baisse provoquée

Le ralentissement de l’économie mondiale engendre déjà une demande moindre en énergie, le pétrole en premier. Pour redresser le cours de ce dernier, il est de coutume que les plus grands producteurs, l’Arabie Saoudite en tête, baissent leur production afin de rééquilibrer le marché. Mais l’Arabie saoudite s’entête et maintient ses niveaux de production.

Faisons un peu d’économie géopolitique. L’Iran et la Russie sont les alliés du régime d’Al Assad en Syrie. Par une baisse du cours du brut, l’Arabie Saoudite, qui combat ce même régime, tente d’affaiblir ses alliés. Deux pays riches en pétrole.

D’autre part, les Etats-Unis, profitant d’un pétrole cher, ont investi massivement dans l’exploitation du gaz de schiste, accroissant leur production et ainsi leur autonomie énergétique. Pour les punir de cette audace qui menace son leadership pétrolier et protéger ses parts de marché, l’Arabie Saoudite contrôle le marché à la baisse entraînant la faillite de beaucoup de producteurs américains de gaz de schiste.

Un pari réussi mais des conséquences économiques et sociales visibles

Le pari saoudien est gagné puisque les Etats-Unis ont baissé leur production et les alliés d’Al Assad souffrent économiquement. Mais les conséquences de ces manœuvres commencent sérieusement à se faire ressentir au niveau du royaume.

L’Arabie saoudite, dépendante à 90% des exportations de brut, n’est certes pas ruinée, forte de ses 667 milliards d’euros de réservers en devises accumulées durant les années des vaches grasses. Mais son train de vie va changer de manière drastique.
Conséquences immédiates : le prix du pétrole à la pompe a doublé dans le royaume entrainant un vent de panique parmi les saoudiens et des files d’attentes devant les stations d’essence. Du jamais vu dans le royaume. Mais le train de mesures spectaculaires ne s’arrête pas là car l’Etat ne prendra plus en charge comme à l’accoutumée le logement qui sera beaucoup moins subventionné qu’avant. Et l’eau et l’électricité augmenteront de 70%… Enfin, le saoudien découvre la TVA, notion totalement inexistante jusque-là dans le royaume.

Sur le plan macroéconomique, le déficit budgétaire saoudien s’est creusé de manière abyssale à plus de 89 milliards d’euros. Mais le danger guette, car le Fond monétaire international a averti le royaume qu’il risque d’épuiser ses réserves en devises en cinq ans s’il ne réduit pas ses dépenses et ne diversifie pas son économie.

Réformes budgétaires et diversification économique

Ces premières mesures d’austérité prises pour les cinq prochaines années, inédites dans le royaume, reflètent une volonté pressante du leadership politique d’une nécessaire réorientation durable de l’économie saoudienne.

Décidées par le roi en personne fin 2015 dans un discours solennel devant Majlis Achoura (parlement), des réformes économiques sont annoncées pour diversifier les sources de revenus du royaume et réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole. Ces réformes visent une plus grande efficacité dans les dépenses publiques, une meilleure utilisation des ressources économiques et une amélioration du rendement des placements de l'Etat.

Des coupes budgétaires de 14% ont été décidées qui ne touchent cependant ni l’arméne ni les aides sociales. En effet, les dirigeants saoudiens entendent continuer de financer leur engagement au Yemen, une guerre « populaire ». Ils ne prendront pas non plus le risque d’engendrer un mécontentement généralisé de la population qui devra déjà renoncer à quelques subventions auxquelles elle a toujours été habituée. Mais le changement de cap économique en Arabie Saoudite ne se limite pas à la rigueur budgétaire. Une diversification de l’économie vers des secteurs nouveaux est envisagée pour ne plus dépendre des aléas du pétrole.

Des besoins considérables en investissements dans des secteurs nouveaux

Une étude récente (1) évalue les besoins d’investissement à 4000 milliards de dollars d’ici 2030 pour diversifier l’économie saoudienne vers quelques industries clés nouvelles notamment l’industrie manufacturière, le secteur minier, la métallurgie ou le tourisme religieux.

Plus concrètement, le monarque saoudien entend entreprendre des réformes structurelles de l’économie pour faciliter l’investissement dans le pays. L’Autorité saoudienne des investissements compte développer plusieurs secteurs, en particulier la santé, les transports, l’exploitation minière et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. 140 milliards de dollars d’investissement ont déjà été identifiés dans les domaines de la santé et des transports pour les cinq années à venir. Et le gouvernement affiche une réelle volonté de transformer divers secteurs à l’instar des finances, du tourisme et de l’immobilier en investissant dans l’éducation et l’innovation.

Un système d’incitation à l’investissement pour promouvoir le secteur privé

Pour ce faie, un système d’incitation à l’investissement visant à réorienter la dépense publique et renforcer le rôle du secteur privé a déjà été mis en place. Et le gouvernement saoudien a investi massivement dans les infrastructures nationales pour attirer les investissements, les investissements directs étrangers (IDE) étant perçus comme l’un des moyens les plus efficaces pour diversifier l’économie nationale et assurer l’emploi des jeunes. Dans cet ordre d’idées, le gouvernement a récemment annoncé l’ouverture du commerce de détail et de gros à une participation 100% étrangère. Les autorités accueillent les IDE en fonction de leur capacité à transférer de la technologie, employer et former de la main d’œuvre nationale, favoriser le développement économique et valoriser les matières premières locales.

Les intentions d’investissement du gouvernent saoudien concernent aussi le secteur énergétique où l'Arabie Saoudite est en train d'impulser une certaine diversification, avec des projets d'énergie solaire, ce qui est tout à fait nouveau pour ce pays qui possède un retard considérable en matière d'énergies renouvelables par rapport à d’autres monarchies comme les Emirats Arabes Unis ou le Qatar, qui ont été des pionniers dans ce domaine au Moyen-Orient. L'Arabie Saoudite envisage également un programme nucléaire pour diversifier sa production d’énergie, qui serait le second après celui entamé par les Emirats.

Dernière trouvaille : privatiser les aéroports

Le renforcement des secteurs non pétroliers passe aussi par la privatisation de certaines activités jusque-là monopolisées par l’Etat. Et les idées ne manquent pas dans ce domaine, l'Arabie Saoudite ayant annoncé un plan de privatisation de ses aéroports dans les cinq prochaines années

Le plan démarre en 2016 avec la privatisation du principal aéroport international de la capitale. En 2017, le royaume prévoit de privatiser également les services de l'aviation et les systèmes informatiques des aéroports. A terme, d'ici 2020 tous les aéroports internationaux, provinciaux et locaux saoudiens auront été cédés au secteur privé.


(1) McKinsey Global Institute, «Saudi Arabia beyond Oil : the Investment and productivity transformation», Décembre 2015.

Publié dans le site "Swiss Arab Entrepreneurs", le 11 avril 2016

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